Cultures numériques
dans l’enseignement

5. La sécurité (le cours)


5.1.4. L’Etat, les grosses firmes, les médias et les cyber-criminels : tous ennemis du citoyen ?

I. Quels dangers ?

Comme nous l’a vu dans l’introduction de cette partie, la spécificité du droit français est de donner fondamentalement la priorité à la défense du citoyen. On a également vu que le danger identifié était dans un premier temps l’Etat (texte de 1978) et qu’il s’élargissait ensuite (en 2004) en incluant les grandes firmes multinationales.

Un sondage réalisé par TNS Sofres pour Microsoft en 2010 indiquait que 75% des internautes français ne se sentent pas en sécurité sur le web ! Cette centration de la loi sur la protection du citoyen ne semble donc pas porter ses fruits.

Les dangers perçus sont identifiés. Les personnes interrogées craignent :

–          Les pirates informatiques : 79%

–          Les entreprises commerciales : 61%

–          Les pouvoirs publics : 53%

Mais aussi :

–          Les collègues de travail : 63%

–          Les membres de leur famille : 15%

Cette distribution des craintes montrent la complexité du problème. Ces chiffres doivent cependant être relativisés, car ils sont anciens, d’une part, et parce que les français sont, d’une manière générale, parmi les européens les plus pessimistes.

S’ils sont inquiets, ils ne cherchent cependant pas activement à se protéger. Ils ne sont en effet que 17% à surveiller leur identité numérique parfois et 4% seulement régulièrement et 53% ne l’avaient jamais fait (en 2010 !)

Comme l’indique ce sondage, ce que craignent le plus les internautes, ce sont les pirates (79%). Pourtant, les textes de loi ne mettaient pas l’accent, jusqu’ici, sur ce danger.

Les lois Hadopi, et surtout Lopsi et Loppsi 2 (loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) ont changé la donne et là, c’est la lutte contre la (cyber-) criminalité qui sert d’argument pour renforcer l’arsenal répressif et les prérogatives de l’Etat.

Le fait d’actualité n°2 revient sur les révélations faites par Edward  Snowden à propos de la NSA (national security agency). Il montre l’ampleur du problème. On a même u des députés européens changer tous leurs téléphones et des services de renseignement russes revenir à la machine à écrire !

II. Lopsi

La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure [Lopsi] a été la première mesure phare de la législature élue en juin 2002. Concrétisant l’un des axes de campagne de Jacques Chirac, la lutte contre l’insécurité, elle s’appuie sur les lois Pasqua de 1995, et doit mettre un frein à l’accroissement des faits de délinquance, alors que 4 millions de crimes et délits ont été recensés en 2001. Cette loi est défendue par Nicolas Sarkozy, Ministre d’État, ministre de l’Intérieur et examinée en urgence à l’Assemblée nationale en juillet et adoptée en aout 2002. Elle traite de réorganisation des structures chargées de la sécurité intérieure, mais aussi des fichiers informatiques. Elle permet notamment aux officiers de Police judiciaire, si un magistrat l’autorise, « d’accéder directement à des fichiers informatiques et de saisir à distance par la voie télématique ou informatique les renseignements qui paraîtraient nécessaires à la manifestation de la vérité ». Elle prévoit notamment la fusion du STIC, fichier de la police, et de JUDEX, fichier de la gendarmerie, au sein d’une même structure, ARIANE.

Ce fichier STIC fait régulièrement l’objet de critiques appuyées et récurrentes . En voici deux exemples  :

2009 : http://www.lepoint.fr/actualites-technologie-internet/2009-01-21/de-nombreuses-personnes-restent-dans-le-fichier-apres-leur-garde/1387/0/308959

2013 : http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/controle-des-fichiers-dantecedents-conclusions-et-propositions-de-la-cnil/

III. Loppsi 2

LOPPSI 2 va plus loin 7 ans plus tard, et aborde, en urgence encore ( !) ; la question de la sécurité de manière encore plus large. En effet, cette loi traite tout à  la fois de la sécurité routière, la vente à la sauvette, des écoutes téléphoniques…. Cela crée une certaine confusion et il n’est pas facile de démêler causes et conséquences.

Nous listons ici quelques réactions négatives par rapport à cette loi Loppsi 2 en mettant l’accent sur cette confusion signalée plus haut.

–          Le père du web, Tim Berners-Lee, y voit la fin « du web libre ». Il dénonce « un fléau » en désignant cette loi [Hadopi] parmi d’autres en France et à l’international en évoquant : « la vague de législations qui entendent donner aux gouvernements et aux fournisseurs d’accès le droit et le devoir de déconnecter les gens ».

–          Reporters sans frontières relaye ces inquiétudes à propos de LOPPSI 2, en rappelant les possibilités de dérive. Les observateurs sont nombreux, à considérer que la France s’est dotée de la loi la plus répressive du monde en matière de cybercriminalité, passant devant l’Australie, déjà réputée pour sa sévérité en la matière.

–          La CNIL, elle-même a rendu un avis alarmiste sur ce projet de loi(loppsi 2) dès le 24 juillet 2009:

« Nous sommes inquiets par ce projet de loi. Nous redoutons une utilisation excessive de ce système d’espionnage par la police, qui pourrait mettre en danger la protection des sources journalistiques. Le cadre de mise en œuvre de la captation des données informatiques doit être plus clairement défini. Nous demandons aux parlementaires de présenter des amendements pour mieux encadrer ce projet. » (Nous verrons plus loin l’évolution de cet organisme qui est mis « sur la touche » d’après de nombreux observateurs et dont le pouvoir est maintenant très limité envers la classe politique. (voir plus loin)

–          La « quadrature du net ». est une association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Elle promeut une adaptation de la législation française et européenne qui soit fidèle aux valeurs qui ont présidé au développement d’Internet, notamment la libre circulation de la connaissance. Face à LOPPSI 2, elle n’hésite pas à mettre en cause l’amalgame fait entre lutte contre la pédo-pornographie et la censure d’internet.

Est-ce à considérer que la protection de l’enfance est un sujet mineur ou indépendant du fonctionnement du reste de la société ? Ils affirment qu’il n’en est rien, mais défendent le principe de la « neutralité du réseau ».

–          En s’appuyant sur les expériences menées dans d’autres pays (l’Australie et en Finlande), ils prédisent que le remède sera « pire que le mal » : la pornographie ne reculera pas et les pirates trouveront toujours des moyens pour échapper à la censure. Cette peur de l’escalade « technologie/répression » comme argumentation principale se retrouvera à plusieurs moments de notre enquête.

L’argument est toujours le même : la mesure sera inefficace donc elle est inutile. De là, à préconiser l’immobilité, de peur de ne pas irriter les pirates, il n’y a qu’un pas, vite franchi par certains, qui ont un penchant pour les « Robin des bois du Net » qui défient les pouvoirs en place. Mais, il faut bien prendre en compte l’ampleur du phénomène. Le Télégramme titrait déjà en 2010 sur l’explosion de la cybercriminalité. Un gendarme, responsable régional de la lutte contre ce fléau considérait déjà que « les revenus financiers de ces activités (fraude à la carte bancaire, usurpation d’identité, attaques virales, espionnage…) dépassent ceux du trafic de drogue ».

IV. Hadopi

Les principes de la loi Hadopi doivent aussi être présentés dans ce cours, même si elle remise en cause, le principe de la « riposte graduée » demeure. En fait, l’internaute n’est pas poursuivi pour avoir piraté des données, mais pour ne pas avoir sécurisé son point d’accès, comme l’y oblige la DADVSI (mettre lien avec la loi, dans la rubrique ad hoc). Elle a été adoptée en 2006 et nous avons un peu de recul sur son application.

A l’époque, une revue informatique comme Micro hebdo appelait à la rébellion « défendez-vous » tout en considérant que cette loi était une »usine à gaz » et ne serait pas efficace. Effectivement, 6 ans plus tard, les résultats ne sont pas du tout à la hauteur des prévisions en terme d’effractions sanctionnées, mais peut-être a-t-elle joué son rôle essentiel, en faisant peur aux internautes qui téléchargeaient musiques et films illégalement.

Ces propos et interrogations peuvent être mis en regard avec ceux de Divina Frau-Meigs [1]. Elle aussi prend tout à fait au sérieux la question de la protection des droits des enfants (et des citoyens) et s’interroge sur la place de l’éducation aux médias aujourd’hui. Elle craint que cette dernière ne représente « un bonbon qui fasse passer la pilule de la déréglementation ».

 


[1] :  http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-qu-enseigne-l-image-qu-enseigner-par-l-image/l-education-aux-medias-est-elle-necessaire-a-quelles-conditions.html

 

V. Une nouvelle donne

Ces différentes interventions nous permettent de saisir les évolutions qui sont mises au jour dans notre cadre législatif. Les règles « hyper-protectrices sont sérieusement bousculées par un courant libéral européen qui prône la « responsabilité individuelle et veut laisser les industries des médias agir à leur guise d’une part et par les bouleversements liés à l’ère cybériste dans laquelle nous sommes entrés, d’autre part ».

Une chose est sûre, les risques ont changé de nature et les textes législatifs essaient d’en prendre la mesure.

Il est difficile pour le non-spécialiste d’appréhender l’ampleur de ces changements et cela amène les journalistes à utiliser, de manière résignée, des expressions du type « Souriez, vous êtes achetés » pour introduire un article sur le rachat de Instagram par Facebook sur le site d’information Atlantico : http://www.atlantico.fr/decryptage/instagram-vraie-reussite-ou-nouvelle-bulle-internet-rachat-facebook-mark-zuckerberg-david-fayon-328824.html

Cette même expression, constitue  également le titre principal d’un dossier « cultures et idées » du journal Le Monde de mai 2012.

Une harmonisation de la législation au niveau de l’Europe est prévue pour 2014, mais aura-t-elle le moindre impact dans une économie mondialisée, On peut en douter dans l’état actuel des choses.

Ce dossier publié dans le Monde nous apporte notre lot de chiffres ahurissants concernant les données produites. Elles doublent tous les 18 mois. C’est une façon presque anodine de présenter les choses. Quand on dit qu’il a été produit en 2011 plus de données qu’entre 1990 et 2010, on commence à percevoir les choses différemment. Si l’on complète le tableau en précisant qu’un I-Phone 5 est un ordinateur plus puissant que celui embarqué dans les fusées Appolo qui sont allées sur la lune dans les années 1970, on perçoit encore mieux le contexte et son évolution.

La formule célèbre suivante finit de nous ouvrir les yeux : « si vous ne payez pas un service sur le Net, c’est que vous n’êtes pas le consommateur : vous êtes le produit ! ».

La gratuité « ressentie » n’est pas effective et l’économie du numérique apparaît pour ce qu’elle est : un acteur tout puissant. En 2011, 20% de la croissance européenne a été produite par cette économie (et 25% en France). En 15 ans, elle a détruit 500 000 emplois et en a créé 1,2 millions en France.

Les données personnelles que possèdent les acteurs de l’économie numérique sont estimées en Europe à une valeur de 100 milliards d’euros, soit le budget de l’UE pendant 7 ans !

Or, en déterritorialisant leurs données les firmes de l’économie du numérique se sont organisées pour échapper à tout impôt.

Sur le triptyque Etat-individus-entreprises du net, seul le dernier profite de cette richesse. Or, comme le rappelle Edouard Tétreau, dans les Echos du 6 mars 2013 (http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0202622917612-trois-idees-pour-reconquerir-notre-souverainete-numerique-544426.php) + PDF dispo, en rubrique ressources)

Un rapport gouvernemental (Colin et Collin, janvier 2013 : mettre en Ressources avec le communiqué de presse) fait trois propositions pour revenir à une situation plus équilibrée et pour que l’on puisse reconquérir notre souveraineté numérique (individuellement et institutionnellement). Elles sont simples dans leur principe :

–          La première proposition est radicale et s’appuie sur la conception du droit d’auteur imaginée par Beaumarchais en 1777 : ces données personnelles nous appartiennent et « la propriété est un droit inviolable et sacré et nul ne peut en être privé », selon la déclaration des droits de l’homme de 1789.Reterritorialiser les données : que les serveurs qui collectent les donnée en Europe soient basés en Europe, sous droit et contrôle européens.

–          La seconde consiste à reterritorialiser les données : que les serveurs qui collectent les donnée en Europe soient basés en Europe, sous droit et contrôle européen.

–          La dernière concerne les « collecteurs de données » qui souhaiteraient transférer hors d’Europe des données personnelles européens. Ils en ont le droit, mais devront payer une dataxe. Toute entreprise contrevenant à ce dispositif ne pourra plus aoir acès au marché européen.

Pour parvenir à ce système, il reste du chemin à parcourir, y compris au sein même de l’Europe !

VI  Souriez, vous êtes achetés !

Cette section va aborder la question publicitaire du point de vue de la protection des personnes. D’autres approches (sémio-pragmatiques, en particulier) pourraient mettre l’accent sur la connivence qui se développe entre le diffuseur de publicité et le spectateur.

La publicité a trouvé sur le web un nouvel Eldorado et les recettes publicitaires migrent progressivement vers ce média.

Le marché publicitaire représente en France 31 milliards d’euros qui ont été dépensés par les annonceurs en 2012. 1/3 de cette somme l’est dans les médias (presse,  TV, radio, cinéma, affichage et Internet) et 2/3 hors médias (marketing direct, salons, sponsoring, fondations…). Ce premier système de catégorie est lui-même remis en cause par l’internet (les médias fournissent souvent les fichiers aux acteurs du marketing direct, par exemple).

Sur cette part de la « publicité médiatique », c’est la TV   qui vient en tête  avec  4,1 milliard d’euros suivie par Internet : pour 2,2 milliards d’euros en 2012. Pour mettre en évidence la progression de cette dernière on peut préciser qu’elle était seulement de 382 millions d’euros en 2005. Elle a été quasiment multipliée par 6 en 7 ans).

Le format de publicité le plus répandu sur Internet est encore la bannière de publicité qui reprend la technique de la publicité de la presse écrite (achat d’espaces), mais en utilisant les possibilités  du multimédia (clignotements, clips vidéos …). Elles deviennent de plus en plus intrusives au fil du temps.

Un autre type de publicité se développe sur le web. il s’agit du contenu de marques (brand content). On en revient à l’époque des années 1960 où la publicité était vue comme un moyen de raconter des histoires. Il s’agit d’un publirédactionnel du XXIème siècle qui repose la question de l’étanchéité entre les rédactions et les service marketing des journaux. On voit d’ailleurs apparaître chez les jeunes deux phénomènes paradoxaux : une plus grande indifférence par rapport à la publicité d’une part et une distinction qui s’estompe entre les fonctions éditoriales et commerciales d’autre part.

Mais, la grande nouveauté, dans le domaine publicitaire vient du fait qu’elles ont au cœur des modèles économiques proposés sur Internet avec l’avènement du « tout gratuit ».  L’extrait suivant du texte de Xavier de la Porte (2012) l’explicite bien :

« Il est difficile de mesurer quelle part de la valeur de Facebook réside dans la récolte des données de ses utilisateurs. Pour être tout à fait juste, aujourd’hui, la plus grosse part de ses revenus provient de la publicité. Certaines de ces publicités sont ciblées individuellement, les autres trouveraient sans doute leur place sur n’importe quel site très fréquenté. Les 15 % restant des revenus de l’entreprise proviennent des jeux…

Mais la vraie valeur de Facebook ne réside pas dans son bilan comptable. Il s’agit d’un pari sur l’avenir. Beaucoup d’analystes boursiers l’ont dit, les revenus de Facebook aujourd’hui, autour de 3 milliards de dollars, ne justifient absolument pas la valorisation de l’entreprise. Le jackpot, en fin de compte, devra venir d’une monétisation plus agressive de l’expérience Facebook.

Alexis Madrigal, qui écrit sur la technologie pour The Atlanticavance que l’entreprise devra tirer de chacun de ses utilisateurs actifs 4,39 dollars pour justifier une capitalisation boursière de 100 milliards de dollars. Comment ? Madrigal imagine un autre programme pour diriger les utilisateurs dans des publicités pour des produits qu’ils pourraient chercher à se procurer via le site. “Je m’attends à voir la résurrection de quelque chose de l’ordre du malheureux plan Beacon (un système publicitaire ciblé lancé par Facebook en 2007 qui utilisait l’activité des utilisateurs sur des sites partenaires, et permettait donc un ciblage très précis. Il a été abandonné suite à un mouvement d’usagers, en 2009). Madrigal écrit : “Cette fois, ce sera plus subtil, mais Facebook arrivera à vous montrer des produits que vous et vos amis aimez. Vous partagerez sans friction tous vos goûts avec vos amis – et avec les publicitaires.

Extait de : http://www.internetactu.net/2012/02/27/quand-vous-ne-voyez-pas-le-service-cest-que-vous-etes-le-produit/

S’il s’agit ci-dessus de prospective. Ce qui est sûr, c’est que Facebook, à travers ces conditions générales d’utilisation, devient définitivement propriétaire de tous les contenus (textes, photos, vidéos..) que vous y déposez. Et ce que vous fermiez votre compte ou pas. Et ce, en contradiction  flagrante avec le droit français.

Le projet d’Instagram, également propriété de facebook, montre bien que la tentation est grande se servir des millions d’images qui sont mise à sa disposition. http://blog.mediassociaux-academy.com/le-cas-instagram-peut-on-vendre-les-photos-des-utilisateurs-dune-application-mobile

Google et bien d’autres géants du net fondent également son modèle économique sur la publicité et l’exploite d’ores et déjà avec profit (liens sponsorisés…).

Pour aller plu loin :

http://www.framablog.org/index.php/post/2011/12/31/gratuite-publicite-facebook

 



La compétence générique de ce cours est la A.3 Responsabilité professionnelle dans le cadre du système éducatif .

Cependant, les 4 compétences spécifiques sont concernées par ce cours :

A.3.1. S’exprimer et communiquer en s’adaptant aux différents destinataires et espaces de diffusion (institutionnel, public, privé, interne, externe…).

A.3.2. Prendre en compte les enjeux et respecter les règles concernant notamment : – la recherche et les critères de contrôle de validité des informations ; – la sécurité informatique ; – le filtrage internet.



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